En 2006, Jack Goldsmith – grand juriste professeur de droit à Harvard et ancien haut fonctionnaire du ministère de la Justice américain sous l’administration Bush – et Tim Wu – professeur de droit à la Columbia Law School de New York – publient « Who Control the Internet ». À l’époque, le discours dominant sur Internet est celui des théoriciens de la mondialisation comme Thomas Friedman, qui décrivent Internet une nouvelle manifestation de l’affaiblissement des États-nations. Or, les auteurs montrent dans ce livre que les États peuvent contrôler Internet et ne s’en privent pas. Loin de contribuer au dépassement des États-nations, Internet fournirait selon eux une nouvelle illustration de la formidable capacité d’adaptation et de l’utilité du système Westhpalien.
Résumé : Internet dans le giron des États
Avant s’attarder sur les limites et les dangers de cette thèse, arrêtons-nous un peu sur leur démonstration, riche en enseignements…
Les utopies fondatrices
Dès les premiers chapitres, Goldsmith et Wu reviennent sur le parcours de John Perry Barlow, ancien parolier des Grateful Dead et fondateur avec John Gilmore (techno-hippy, ancien de Sun Microsystems) de l’organisation de défense des libertés sur Internet, l’Electronic Frontier Foundation. En 1996, alors que le Congrès américain tente d’imposer la censure des contenus pornographiques sur le Net, Barlow souhaite marquer le coup. Cet hiver là, lors du Forum de Davos en Suisse, il déclame la déclaration d’indépendance du cyberespace, librement inspirée des mythes fondateurs de la démocratie américaine.
« Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. Au nom de l’avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre. »
Ce projet de loi, le Communications Decency Act fut plus tard déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême, dans un arrêt resté célèbre. Ce dernier décrit Internet comme un moyen de communication révolutionnaire et retranscrit bien l’idéalisme ambiant de l’époque :
« Grâce à l’utilisation des salons de chat, toute personne connectée au réseau téléphonique peut haranguer les foules, et porter sa voix bien plus loin que depuis toute autre tribune. Grâce à l’utilisation de pages Web, de la messagerie électronique, et les newsgroups, cette même personne peut se devenir un pamphlétaire. Comme l’a dit la Cour de district [l’équivalent du Tribunal de première instance] « les contenus présents sur l’Internet sont aussi divers que la pensée humaine ». »[1. Traduction par nos soins.]
L’histoire de la reprise en main étatique
Pour Goldsmith et Wu, cette vision « utopique » a laissé place à une véritable reprise en main étatique. D’abord lorsque le gouvernement américain réussit à établir son autorité sur le système des noms de domaines, à la fin des années 1990 (pourvoir aujourd’hui délégué à l’ICANN), et ce en dépit de la volonté des pères fondateurs de l’Internet, comme Jon Postel et Vint Cerf, qui souhaitaient pendre en charge eux-mêmes ces fonctions au travers de l’ISOC (chapitre 3). Ensuite lorsqu’en 2000, la justice française contraignit Yahoo à faire en sorte que les internautes français ne puissent pas accéder aux enchères d’objets nazis sur sa plate-dédiée (chapitre 1). L’entreprise américaine fit d’abord valoir qu’elle n’avait pas les moyens techniques de mettre en œuvre de telles mesures et qu’elle était de toute façon soumise au droit américain, et non au droit français. Pourtant, devant le risque d’une condamnation en France, Yahoo fut obligé de céder. L’entreprise se dota d’un système de géolocalisation pour alerter les internautes français que le commerce de ces objets était illégal, et prit finalement la décision de proscrire ces objets de sa plate-forme au niveau mondial (où comment la loi française en la matière s’est de facto imposée à tout l’Internet…). Mais l’exemple de reprise en main le plus extrême est bien évidemment celui de la Chine, qui avec l’aide de l’entreprise américaine Cisco a mis en place à partir de 2003 un dispositif de contrôle de l’Internet. Ce dernier reste aujourd’hui le plus sophistiqué au monde, mêlant avec un relatif succès la censure d’État à la propagande nationaliste (chapitre 6).
Les outils techniques de la régulation
Goldsmith et Wu passent également en revue les mécanismes par lesquels les États peuvent effectivement contrôler Internet (chapitre 5). En partant de l’exemple de Sealand – cette ancienne base militaire britannique reconvertie en principauté souveraine – ils montrent comment, même lorsqu’un hébergeur ou un éditeur de site est établi dans une juridiction qui lui est favorable, d’autres États peuvent bloquer l’information à leurs frontières ou la contrôler en adoptant différentes mesures techniques :
– en saisissant des noms de domaine auprès des bureaux d’enregistrements, comme le font les États-Unis depuis des années ;
– en imposant le filtrage de sites par les fournisseurs d’accès Internet, moteurs de recherche, ou retrait des contenus par les hébergeurs afin d’en empêcher l’accès (ou le rendre plus difficile) ;
– en imposant aux intermédiaires financiers le blocage des flux financiers dans le cadre de sites commerciaux (méthodes malheureusement bien trop peu développées, ou mise en œuvre dans un cadre extra-judiciaire) ;
– en imposant certains standards techniques (voir l’exemple du Wapi en Chine, un WiFi qui incorpore un système d’authentification) ;
– en recourant à la bonne vieille méthode de l’interpellation des auteurs présumés de contenus jugés illicites, lorsqu’ils sont identifiables.
Le livre retrace en quelque sorte la genèse de ces mesures, qui se sont depuis banalisées, en pratique et dans le débat public.
La demande sociale de régulation
Au-delà de la description de ce mouvement de régulation étatique de l’Internet, Goldsmith et Wu avancent des éléments normatifs pour défendre ce mouvement. Pour eux, cette reprise en main d’Internet, même s’il elle s’accompagne de dérive inhérentes aux défauts des différents systèmes politiques, est à la fois « normale » et « souhaitable ».
« Normale », car il s’est passé la même chose avec le télégraphe, le téléphone, la radio et la télévision. Certes, Internet constitue une rupture technique qui permet une baisse spectaculaire du coût de circulation de l’information à l’échelle du globe (p. 180). Et évidemment, certains profitent de cette nouvelle technologie pour échapper à la main mise des États à des fins politiques ou commerciales. Mais assez rapidement, souvent à la demande d’acteurs économique, l’État organise la régulation de ce nouvel espace. C’est d’ailleurs l’objet du dernier livre de Tim Wu, The Master Switch, que de montrer comment chacune de ces techniques a suscité l’une après l’autre de grands espoirs de démocratisation et d’innovation, avant d’être rattrapée et bientôt dominée par des acteurs économiques et étatiques. Un cycle qui semble donc en passe se répéter avec Internet.
« Souhaitable » ensuite, car pour les auteurs, il est légitime que les sociétés souhaitent que les normes juridiques qu’elles ont elles-mêmes adopté puissent réguler le cyberespace. Ainsi, pour ce qui est des règles régissant la liberté d’expression, ils estiment que contrairement à ce que peuvent arguer certains défenseurs des libertés sur Internet, il n’y a aucun raison pour que la conception particulièrement large de la liberté d’expression qui a cours aux États-Unis s’étende au reste du monde au travers d’Internet (p. 157). Il est normal que la France ou l’Australie fassent prévaloir leurs droits nationaux, en condamnant les entreprises qui facilitent le commerce d’objets nazis, ou les médias en ligne qui publient des contenus diffamatoires (ici, les auteurs sous-estiment grandement la difficulté pour ces entreprises, et avec elles les autres éditeurs de contenus en ligne, de contrôler la diffusion des informations en fonction des droits applicables au niveau national. Il leur aurait pourtant suffit de prendre leur propre exemple : Yahoo a bel et bien préféré supprimer la mise aux enchères d’objets nazis de son service plutôt que de tenter de restreindre l’accès aux seuls internautes français, ou même européens…).
« Souhaitable » aussi parce qu’à mesure que la société migre sur Internet, et notamment les activités économiques, les États doivent répondre à une demande sociale de stabilité. En effet, les États, en tant que puissances souveraines, jouent un rôle indispensable de prise en charge de certains biens publics nécessaire à la cohésion sociale et au développement économique. Goldsmith et Wu reviennent ainsi sur l’histoire d’eBay, fondée en 1995 et qui revendiquait au départ son esprit anarchiste. Au début, les internautes étaient invités à cultiver ces idéaux en fondant leur rapport avec les utilisateurs sur la bonne foi, puisque tout le système reposait sur la confiance mutuelle. Les conflits entre acheteurs et revendeurs faisait alors l’objet d’arbitrage souples. Et pourtant, peu à peu, à mesure qu’eBay se développe et que la communauté s’agrandit, les fraudes se multiplient et se font de plus en plus graves. En 1999, eBay se décide à recruter deux personnes appelées à jouer un rôle clé en son sein : un ancien procureur et ancien fonctionnaire de la Drug Enforcement Agency. C’est en quelque sorte la fin de la « récré » pour les fraudeurs… Car eBay s’engage alors dans une coopération active avec les autorités américaines pour poursuivre les infractions en tous genres. Pour les auteurs, cet exemple illustre à merveille les raisons qui poussent Internet dans le giron des États : la communauté originelle a eu besoin du souverain étatique pour faire respecter le droit – le droit des contrats, les droits de propriété, la lutte contre les stupéfiants, garantis par la police et la justice – autant de biens publics que seuls les États sont capables de fournir. L’anarchie a donc fait long feu…
L’absence de traité international du cyberespace
Enfin, comme pour enfoncer le clou face à ceux qui croient au dépassement irréversible des États, les auteurs notent à juste titre qu’Internet ne fait pas l’objet d’une régulation internationale, et que c’est bien l’échelle nationale qui est de fait privilégiée pour réguler cet espace (chapitre 10). En dehors de l’ICANN qui constitue une forme de gouvernance globale multipartite unique en son genre (et ce bien qu’elle reste inféodée aux États-Unis), ce sont bien les États qui orchestrent la gouvernance d’Internet. Les quelques initiatives internationales, comme la Convention de Budapest sur la cybercriminalité, restent de portée extrêmement limitée.
Ils font également remarquer que la gouvernance du Net est l’objet d’une bataille diplomatique de plus en plus intense entre les héritiers de l’ordre Westphalien que sont les États-nations. Eu au vu des récentes évolutions dans ce domaine – du discours de 2010 d’Hillary Clinton à la proposition de la Russie et d’autres « pays censeurs » d’élargir les compétences de l’ONU à la régulation d’Internet – leur analyse garde toute sa pertinence.
Critique : une posture hobbesienne et conservatrice
Ce livre est important, car il permet de rappeler à ceux qui continuent de croire qu’Internet ne peut être contrôlé que les années 1990 sont terminées ! Certes, le Net a surgi dans notre environnement informationnel comme un réseau global et libertaire, défiant les États-nations. Pour autant, son architecture technique fait l’objet d’une régulation croissante qui permet aux souverains de maîtriser, quoique de manière imparfaite, la circulation de l’information, et même d’en faire un redoutable outil de surveillance et de contrôle social, comme les exemples de la Chine ou de la Tunisie de Ben-Ali le montrent bien.
Par ailleurs, Goldsmith et Wu expliquent bien comment le monopole de la violence légitime exercé par les États contribue lui aussi au développement de l’écosystème d’Internet. C’est notamment le cas en ce qui concerne le développement des activités économiques, comme le montrent les deux auteurs, mais pas seulement. Qu’on pense par exemple aux débats actuels autour de la neutralité des réseaux : il s’agit bel et bien pour les défenseurs des libertés sur Internet de faire en sorte que ce principe technique fondateur fasse l’objet d’une consécration légale. L’État ne joue donc pas nécessairement un rôle de censeur, et il faut évidemment adopter une approche nuancée plutôt que de rejeter en bloc toute forme de législation relative à Internet.
Cela dit, malgré la pertinence du propos, on n’échappe à la lecture de ce livre à un sentiment de malaise. Car au fil des pages, la démonstration des auteurs tombe dans une forme de célébration, ou en tous cas d’acceptation optimiste et conservatrice, du mouvement de reprise en main d’Internet. À les lire, on a parfois l’impression que le Léviathan national établit irrémédiablement son emprise sur cet espace, que tous ceux qui célébraient Internet comme vecteur d’émancipation vis-à-vis des systèmes politiques nationaux sont en tous points démentis par l’Histoire, et que c’est tant mieux. Il y a là une forme néo-hobbesianisme que je trouve, pour les raisons exposées ci-dessous, problématique.
Au plan technique, la fragmentation est source de coûts
Les auteurs louent la re-territorialisation, qui permet selon eux de réduire certains coûts de transaction, de mieux respecter les préférences individuelles (linguistiques par exemple) et d’améliorer le fonctionnement technique d’Internet (arguments développés dans le chapitre 4). Mais ce faisant, ils oublient que la fragmentation juridique et technique du réseau s’accompagne aussi de coûts importants. Milton Mueller rappelle par exemple qu’historiquement, les infrastructures de transport et de communication comme le rail ou du téléphone ont encouragé le dépassement des formes de régulation locales, poussant au progrès de l’interopérabilité technique des infrastructures mais également de l’interopérabilité des systèmes juridiques afin de réduire les coûts associés aux échanges transfrontaliers. Le protocole TCP/IP lui-même est un exemple probant d’un standard technique développé par une communauté globale de chercheurs, permettant l’interopérabilité de réseaux télématiques locaux, et qui s’est peu à peu imposé comme une référence incontestée (voir « La philosophie des concepteurs d’Internet »). Il faut opposer cet exemple à tous les cas où l’innovation technique et sociale permise par un réseau est ralentie par la concurrence entre différents standards techniques.
Aussi est-il nécessaire de ne pas opposer de manière stérile des formes de régulations locales et nationales à des cadres institutionnels permettant d’assurer une gouvernance souple à l’échelle globale, en assurant l’interopérabilité des systèmes sans pour autant prétendre à l’homogénéité. Or, les auteurs semblent trop attachés à démonter les théories de la mondialisation pour prendre suffisamment en compte les risques et coût associés aux contrôles nationaux sur Internet, qui s’accompagnent nécessairement d’une fragmentation technique et juridique de cet espace. En dépit des nombreux échecs de la gouvernance globale de l’Internet mis en exergue par les auteurs, le principe d’un cadre de gouvernance global reste pertinent. Les auteurs semblent prêts à le reconnaître, mais leur approche avant tout descriptive les empêche de montrer pourquoi et de faire l’ébauche de propositions.
Quid des valeurs universelles dans le cyberespace ?
Mais c’est sur le terrain de la philosophie politique que ce livre est le plus problématique. Trop occupés à célébrer la fin de l’anarchie et à faire la démonstration de leur thèse, les auteurs en oublient de développer une approche réellement critique de ce mouvement de reprise en main étatique. Les règles appliquées sont elles justes, pertinentes ? Il ne suffit pas de dire, comme ils le font, que le Premier Amendement à la constitution américaine (qui protège la liberté d’expression) est une exception du genre plutôt que la règle, pour accepter le bien fondé des mesures de censure dans telle ou telle juridiction. Quid des valeurs universelles et du droit international, allègrement transgressés par les États ? Quid de la nécessité de réformer le droit, y compris dans les démocraties libérales, pour protéger les nouvelles capacités qu’Internet offrent aux individus ?
Sur ce point, l’absence de positionnement des auteurs est regrettable. À force de vouloir démontrer la légitimité des États territoriaux à réguler le cyberespace, ils passent à côté d’une approche normative pourtant nécessaire. Ils reconnaissent certes le risque d’abus de pouvoir (p. 140), même dans les régimes démocratiques, et l’exemple de la Chine leur fournit une occasion de souligner les risques associés au contrôle étatique de cet espace de communication. Pour autant, le reste du livre tend à accueillir ce processus avec un fatalisme qui verse au bout du compte dans la légitimation.
La reprise en main des États se heurte à de vives résistances
Enfin, les auteur oublient de mentionner le développement sur Internet d’un large mouvement politique en faveur de l’émancipation de la société civile vis-à-vis des États, qui était déjà largement constitué en 2006. C’est pourtant là un phénomène presque aussi ancien que l’État moderne : la remise en cause de la monarchie par les Lumières passait déjà par le développement d’un discours critique vis-à-vis du caractère absolu du souverain monarchique, appelant à la reconnaissance à chaque être humain de droits naturels inaliénables. Puis, aux XIXème sicèle, les penseurs libéraux tels qu’Alexis de Tocqueville ou John Stuart Mill eurent à cœur de souligner les risques d’une souveraineté sans limites, fusse-t-elle exercée par le peuple lui-même via un État supposé démocratique. Ils refusaient alors une vision naïve de la démocratie qui en nierait les potentialités oppressives et appelaient, dans la lignée des Lumières, à l’instauration de frontières entre la sphère publique, où la souveraineté peut s’exercer librement dans la poursuite de l’intérêt général, et la sphère privée, au sein de laquelle l’autonomie de l’individu et sa capacité à organiser son existence sont garanties. Aujourd’hui, les nouvelles capacités qu’Internet offre aux individus, et les transformations politiques et sociales qu’elles génèrent, sont l’occasion d’une nouvelle remise en cause de la souveraineté des États.
Le processus de reprise en main que Goldsmith et Wu décrivaient en 2006 s’est depuis heurté à une résistance encore plus marquée de la société civile. Les révoltes dans le monde arabe, et la manière dont le contrôle d’Internet a pu in fine être contourné grâce à l’entre-aide entre des groupes d’activistes aux quatre coins de monde, à l’image du groupe Telecomix ; WikiLeaks et la tentative américaine de censure extra-légale du site fin 2010, qui a échoué grâce à la collaboration à grande échelle d’administrateurs réseaux, de hackers et de geeks en tous genre ; Les grandes manifestations en ligne et dans les rues organisées contre le projet SOPA aux États-Unis ou l’accord ACTA en Europe, … autant d’exemples où la volonté des États-souverain – fussent-ils démocratiques – est entravée par l’émergence de réseaux de citoyens collaborant sur Internet pour protéger leurs libertés face à des immixtions étatiques jugées illégitimes.
Même s’il serait sans doute abusif de voir dans ces exemples – qui illustrent un mouvement plus large – un retour direct aux utopies fondatrices moquées par les auteurs, il est néanmoins indéniable qu’Internet continue d’être un espace subversif pour les pouvoirs en place. Il déstabilise les institutions existantes et les mécanismes sur lesquels elles sont fondées (le droit territorial), ainsi que l’ensemble de l’ordre social dont ces institutions sont garantes.
Des questions politiques aujourd’hui inévitables
Les États peuvent contrôler Internet, ce livre l’a magistralement démontré. Les quelques années qui se sont écoulées depuis n’ont fait qu’en apporter la preuve incontestable. Pour autant, ce contrôle menace aujourd’hui les potentialités démocratiques ouvertes par Internet.
La technique – toujours ambivalente dans ses effets – fait l’objet d’un affrontement de plus en plus intense entre les partisans de la logique étatique, territoriale, voire culturaliste, et ceux qui résistent à ce processus en arguant des grands principes du libéralisme politique (comme le « harm principle » retranscrit par Jeff Jarvis dans sa maxime hippocratique « do not harm » adressée aux gouvernements représentés à l’eG8, et repris depuis par le Conseil de l’Europe).
Les questions négligées à l’époque par les auteurs et qu’il faut désormais poser sont les suivantes : Quelles doivent être les limites de cette reprise en main ? Les méthodes de contrôle sont-elles adaptées et respectueuses des droits de l’Homme ? Et surtout : la rupture politique induite par Internet ne doit-elle pas être l’occasion de définir un nouvel équilibre des pouvoirs entre la société civile et les institutions étatiques ?
Si l’on peut comprendre leur parti pris de ne pas s’attarder davantage sur ces aspects, trop occupés qu’ils sont à apporter la contradiction aux théoriciens de la mondialisation, force est de constater qu’il n’est plus possible, en 2012, d’éluder ces questions centrales. La réflexion politique et juridique relative à Internet ne peut plus se contenter d’une approche « agnostique » sur le plan des valeurs. L’exigence sociale de lois justes et équilibrées est trop forte. Alors que la longue histoire de la lutte politique pour l’émancipation est aujourd’hui projetée sur Internet, chacun doit se positionner dans ce débat crucial pour l’avenir de nos sociétés, pour l’avenir de la démocratie.