Il faut voir ce documentaire de 2008.
Us Now from Banyak Films.
Remarques en vrac :
Coopération, confiance et risque
Des organisations coopératives se fondent sur la confiance entre participants, l’échange, et une place donnée à l’économie du don, plutôt qu’aux mécanismes de marché.
La confiance aboutit également à la moralisation des rapports sociaux, même dans le cas de d’entreprises purement commerciales mais mobilisant ces processus participatifs. Car la participation des individus est motivée par une logique de don à l’autre, ce qui ne peut se faire que dans un cadre où la confiance – et donc la transparence – est assuré (exemple de la Banque peer-to-peer Zopa qui explique clairement “comment” elle gagne de l’argent).
Lorsqu’une personne donnée se sent impliquée dans un processus – où du moins sait qu’elle a la possibilité de l’être – son sentiment de satisfaction vis-à-vis du processus augmente. La multiplicité des personnes inclues dans la conduite du processus fait que l’échec n’accable pas une personne car la responsabilité de son fait est partagée. Le risque est ainsi réparti, et donc augmente les capacités d’un processus car le risque d’échec est réduit au niveau individuel (financement de groupes de musique, prêts bancaires à bas taux d’intérêt par la multiplication des prêteurs).
Coopération et innovation politique
La participation un processus social donné (prise de décision, échange et interaction sociale) et la valeur de la contribution individuelle dépendent de la qualité et la sincérité de l’expertise/connaissance de l’individu en question Ainsi les corps traditionnels sont contournés mais on ne se retrouve pas dans une sorte de démocratie radicale – plutôt une démocratie des experts par le bas, caractérisée en fait par la démocratisation de la désignation de ceux qui ont autorité.
Les conservateurs britanniques sont beaucoup plus en avance que les travaillistes concernant les question liées l’impact d’internet sur les processus politiques (et la mobilisation de ces outils, et les comportements qu’ils entraînent de la part de ces hommes et femmes politiques vis-à-vis des citoyens expliquent sans doute en partie leur incontestable succès dans l’opinion publique). Cette innovation politique vient probablement du fait qu’ils sont un parti d’opposition. Aux États-Unis, le mouvement démocrate (la gauche américaine), dans sa composante « société civile”, a également considérablement innové au cours des mandats de George W. Bush (nouveaux médias participatifs, etc).
Historiquement, il n’est pas tout à fait faux de penser que la démocratie représentative a été conçue sur l’idée que les gens étaient potentiellement révolutionnaires, mais surtout bêtes (XIXè siècle). Si on se défait de ce préjugé, si on se rend compte à quel point il ne peut pas être vrai, alors on comprend que les institutions démocratiques telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, les assemblées locales, nationales, régionales, prennent nombre de décisions pour lesquelles elles sont bien moins légitimes que des groupes de citoyens auto-organisés (par exemple pour la gestion d’un budget local). Faute de s’adapter et de se dessaisir elle-même d’un certain nombre de sujets afin d’organiser des plate-formes de fabrique coopérative de la décision publique, les institutions démocratiques traditionnelles pourraient être de plus en plus évitées par les citoyens qui prendront en charge eux-mêmes la responsabilité de formuler un certain nombre de choix politiques, et pour lesquels ils se donneront les moyens (financement par la contribution volontaire, non par l’impôt). Du moins peut-on l’imaginer dans une société caractérisée par la défiance envers le politique…
Tocqueville et la démocratie coopérative
Dans De La Démocratie en Amérique, Tocqueville propose également une réflexion intéressante sur la manière dont les institutions coopératives peuvent susciter un rapport affectif au politique, un sentiment d’appartenance à de la communauté politique qui manque souvent cruellement dans les démocraties traditionnelles. Il oppose le local au général. On pourrait le lire en y superposant l’opposition coopératif/représentatif, où on entend par coopératif des groupes de citoyens auto-organisés, s’unissant autour de leurs intérêts et questionnements propres, aux degrés d’engagements divers, fondés sur l’échange (définition à préciser…). De tels espaces de débat fleurissent sur Internet, même s’il est encore difficile de déterminer la manière dont de telles « assemblées » peuvent aboutir à une prise de décision publique.
Les affaires générales d’un pays n’occupent que les principaux citoyens. Ceux-là ne se rassemblent que de loin en loin dans les mêmes lieux ; et, comme il arrive souvent qu’ensuite ils se perdent de vue, il ne s’établit pas entre eux de liens durables. Mais quand il s’agit de faire régler les affaires particulières d’un canton par les hommes qui l’habitent, les mêmes individus sont toujours en contact, et ils sont en quelque sorte forcés de se connaître et de se complaire.
On tire difficilement un homme de lui-même pour l’intéresser à la destinée de tout l’État, parce qu’il comprend mal l’influence que la destinée de l’État peut exercer sur son sort. Mais faut-il faire passer un chemin au bout de son domaine, il verra d’un premier coup d’oeil qu’il se rencontre un rapport entre cette petite affaire publique et ses plus grandes affaires privées, et il découvrira, sans qu’on le lui montre, le lien étroit qui unit ici l’intérêt particulier à l’intérêt général.
C’est donc en chargeant les citoyens de l’administration des petites affaires, bien plus qu’en leur livrant le gouvernement des grandes, qu’on les intéresse au bien public et qu’on leur fait voir le besoin qu’ils ont sans cesse les uns des autres pour le produire. On peut, par une action d’éclat, captiver tout à coup la faveur d’un peuple ; mais, pour gagner l’amour et le respect de la population qui vous entoure, il faut une longue succession de petits services rendus, de bons offices obscurs, une habitude constante de bienveillance et une réputation bien établie de désintéressement.
Les libertés locales, qui font qu’un grand nombre de citoyens mettent du prix à l’affection de leurs voisins et de leurs proches, ramènent donc sans cesse les hommes les uns vers les autres, en dépit des instincts qui les séparent, et les forcent à s’entraider.