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Internet : un nouvel art de la révolte ?

Le philosophe Geoffroy de Lagasnerie vient de faire paraître un essai intitulé L’Art de la révolte qui constitue une contribution importante à l’étude des rapports entre Internet, la citoyenneté et l’espace public. J’en propose ici un petit résumé avant de faire quelques remarques critiques.

Résumé

L’auteur prend appui sur trois « figures exemplaires » du militantisme sur Internet : Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden. Tous sont devenus des symboles de la défense des libertés et de l’État de droit sur Internet. Pour Lagasnerie, le cybermilitantisme qu’ils développent conduit à mettre en crise la « scène politique » au travers d’une « radicalisation de l’exigence démocratique » :

«  (…) dans leur manière de se révolter, de se constituer comme sujets en lutte, ils ont mis en œuvre, pratiquement, un nouveau rapport au droit, à l’État, à la dissidence. Ils n’ont pas repris à leur compte des formes instituées de la révolte et se ne sont pas contentés de porter, sur la scène préétablie de la confrontation publique, de nouveaux objets. Leur attaque vise la scène politique elle-même. Ils interrogent les cadres de la politique, les formes prescrites de la mobilisation et de l’expression – et ils opèrent, de ce fait, une contestation du dispositif de la politique démocratique tel que nous le connaissons et tel qu’il s’impose à nous (…) Il incarnent un défi à la loi elle même. Il cherchent à interroger ce qui demeure de non démocratique dans les valeurs et les idéaux que nous reconnaissons traditionnellement comme des symboles de la démocratie » (p. 76-77).

Dans ce processus d’émancipation vis-à-vis des mécanismes d’assujettissement propre à l’État moderne, deux catégories de conduites caractéristiques du cybermilitantisme jouent pour lui un rôle fondamental : le recours à l’anonymat et la stratégie de la fuite. L’analyse qu’en propose l’auteur constitue le cœur du livre.

L’anonymat, un agir politique émancipateur

Geoffroy de Lagasnerie rappelle d’abord comment, dans la théorie politique classique, le fait d’apparaître au grand jour dans l’espace public est crucial pour assurer la légitimité de participation politique. Agir en tant que citoyen suppose de s’engager, de se montrer à visage découvert comme porteur d’une revendication, d’assumer publiquement ce que l’ont dit et ce que l’on fait. Un principe profondément ancré dans nos inconscients politiques :

« À la figure du citoyen qui s’exprime, qui revendique, qui manifeste, qui se bat, est ainsi opposée, implicitement, la figure de l’individu qui fuit, ou qui se tait, qui accepte silencieusement l’ordre des choses, qui transgresse clandestinement la loi, etc. » (p. 114).

L’auteur appelle à rompre avec ces vieilles conceptions, en cherchant à présenter l’anonymat dans toute sa positivité. Il rappelle ainsi que la capacité de communiquer anonymement sur Internet contribue à démocratiser l’accès à l’espace public : l’anonymat permet en effet à des personnes pour qui l’expression ou la protestation publique seraient trop risquées – parce qu’ils s’exposeraient à des réprobations ou même à des sanctions de la part de leur famille, de leur milieu professionnel, de l’État – de le faire malgré tout.

Lagasnerie montre ensuite de manière plus générale comment l’anonymat contribue à déstabiliser les logiques disciplinaires à l’œuvre dans l’espace public. En effet, l’intervention politique suppose traditionnellement d’accepter d’endosser une identité de militant et – même lorsque l’action militante est conduite à travers des corps intermédiaires que sont les partis, les syndicats, les ONG plutôt qu’en son nom propre – de se voir accoler une étiquette politique. À l’inverse, la communication anonyme ou pseudonyme « permet à des individus qui ne se définissent pas eux-mêmes comme opposants, radicaux ou militants, ou qui ne veulent pas se définir ainsi, d’entrer dans l’espace de la politique contestataire » (p. 128).

Ce faisant, l’anonymat libère aussi les individus de multiples allégeances, renforçant ainsi leur capacité critique. WikiLeaks, en particulier, se construit sur l’idée que le chiffrement peut protéger les sources journalistiques et encourager ainsi le « retournement » de personnes travaillant au cœur du pouvoir. De cette manière, il permet à des analystes militaires comme Manning ou à des techniciens de la NSA comme Snowden de s’affranchir de la « force assujettissante » des groupes et institutions auxquels ils prennent part. Il ouvre la possibilité subversive d’être à la fois en dehors et en dedans, « conforme et politisé, dans l’adhésion et dans la contestation » (p. 130). Ce faisant, il multiplie les foyers de la politique contestataire :

« Tout le monde peut, à un moment ou un autre, y prendre part. Il n’y a plus de lieux de la mobilisation ni, mieux, d’organisations clairement identifiées comme incarnant les instances à partir desquelles surgiront les contestations (tels les syndicats par exemple) ». Cela conduit à « un processus de redistribution et d’éparpillement des lieux de la contestation » (p. 129).

Enfin, l’anonymat permet un agir politique plus conflictuel. Dans l’espace public traditionnel, le fait d’apparaître au grand jour, sous son identité réelle, doit en principe conduire à la possibilité d’interaction, de dialogue. On sait qui parle, qui proteste, et on peut donc lui répondre. Ce principe d’une communication réciproque est absolument central dans les théories de la démocratie délibérative (notamment celle du philosophe Jürgen Habermas, fondateur de la notion d’espace public dont la thèse de doctorat de 1962 proposait une archéologie). À l’inverse, l’anonymat ouvre la possibilité d’une communication « agonistique » opérant sur le mode du conflit unilatéral plutôt que du dialogue :

« Dans cette nouvelle scène, la politique ne fonctionnerait ni sur le mode de la négociation ni sur celui de la communication. Il s’agirait d’une politique affirmative : énoncer ses revendications, agir, disparaître. Le masque, le cryptage permettent d’intervenir sans établir de relation, sans reconnaître ses ennemis ni leur laisser la possibilité de répondre » (p. 139).

La fuite et le libre choix de ses appartenances

La seconde conduite qui fonde le « nouvel art de la révolte » incarné par le trio Assange-Manning-Snowden réside dans la stratégie de la sédition et de la fuite. Pour Lagasnerie, lorsqu’en juin 2013 Snowden fuit à Hong Kong au moment où le Guardian et le Washington Post commencent à publier les documents qu’il leur a transmis, il n’est pas simplement en train d’échapper à la répression. Il est aussi et surtout en train de faire sécession avec la communauté politique qui est la sienne, et dont il tire pourtant la qualité de citoyen.

Pour l’auteur, une telle conduite attaque de front les théories politiques construites sur le contrat social, qui sont au fondement des régimes représentatifs. En effet, de Rousseau à John Rawls, les théoriciens du contrat social sont soit partis du principe que nous choisissions librement d’adhérer à l’État dans lequel nous sommes nés, soit ont raisonné à partir de communautés nationales fermées, desquelles il serait impossible de s’affranchir. Dans ce schéma, la seule option politique du citoyen insatisfait consiste donc à agir au sein du cadre institutionnel établi pour changer la loi, à travers les formes classiques de participation politique prescrites par le régime représentatif.

Or, celui qui fait sédition et choisit l’exil se situerait selon l’auteur dans une toute autre logique : il rompt son appartenance à l’État, qui peut dès lors être pensée sur le mode du choix plutôt que celui de la contrainte. La fuite permettrait donc de repolitiser la question de l’appartenance à l’État que les penseurs contractualistes avaient laissée de côté :

« [Celui qui fait sédition] met en concurrence les États et les systèmes législatifs. En d’autres termes, il formule une exigence, ou, mieux, il exerce une sorte de droit à choisir sa nationalité, son État, à se réapproprier un contrôle sur la forme et la nature du système de lois auquel il sera soumis » (p. 176).

Selon cette approche, la fuite permet de dépasser la désobéissance civile, qui consiste habituellement à défier la loi tout en restant attaché au système juridique dont elle découle. Comme l’écrit l’auteur, il ne s’agit plus simplement de changer sa communauté de naissance, mais de changer de communauté.

Critique

La réflexion proposée dans ce livre est riche et stimulante, mais certains partis pris méthodologiques conduisent à mon sens à des erreurs d’analyse.

L’ahistoricisation des pratiques

Geoffroy de Lagasnerie exagère d’abord la nouveauté et la spécificité de ces pratiques militantes. Oui, Snowden, Manning, Assange et les collectifs agissant derrière le label Anonymous (également cités dans le livre) mettent en crise la scène politique, mais ils ne le font pas « ex nihilo ». Leur militantisme et les outils techniques qu’ils mobilisent s’inscrivent dans une histoire plus ancienne.

Il est par exemple dommage de parler de la stratégie de la fuite sans évoquer l’influence sur les usages militants d’Internet d’un texte comme Zone Autonome Temporaire de Hakim Bey, publié en 1991. Ou de parler du potentiel subversif du chiffrement des communications sans revenir sur les Cypherpunks, une communauté au contact de laquelle Julian Assange a forgé certaines de ses conceptions politiques au cours des années 1990. On pourrait même remonter beaucoup plus loin dans l’histoire d’Internet, par exemple au projet des « outlaw areas » (« zones hors-la-loi ») brandi par Buckminster Fuller, parrain intellectuel de la contre-culture des années 1960 dont Fred Turner a montré l’influence déterminante sur la cyberculture (Aux Sources de l’utopie numérique). Ou rappeler que la puissance subversive de l’anonymat et l’exil ont depuis toujours servi à échapper à la répression au sein de l’espace public (voir par exemple les travaux de l’historien Robert Darnton sur l’édition française au XVIIIè siècle). Souligner, enfin, que l’on retrouve une part de la symbolique des Anonymous dans des mouvements sociaux contemporains non directement liés à Internet et à sa culture (comme les Tute Bianche en Italie).

S’il y a quelque chose de spécifique au militantisme sur Internet, c’est la manière dont il synthétise et radicalise des pratiques illégales ou alégales (à la légalité incertaine) qui depuis longtemps étaient mobilisées dans un but de contestation au sein l’espace public. Fuite de documents, pamphlets anonymes, contournement de la censure, copie illicite d’informations : l’anonymat ou la fuite et l’exil sont toujours venus en soutien des ces modes d’action aux frontières de la légalité. Simplement, ils sont désormais largement facilités par les spécificités techniques d’Internet, tandis que la cyberculture a encouragé le recours à ces stratégies dans le but de radicaliser l’exigence démocratique et la critique du pouvoir. Si spécificité il y a dans l’art de la révolte sur Internet, elle réside dans une différence de degré bien plus que de nature.

Une rupture assumée avec le discours des acteurs

Un autre problème méthodologique tient au fait que les descriptions que l’auteur sont en complet décalage avec la lecture qu’en font les acteurs. Lagasnerie assume clairement ce parti pris dès les premières lignes :

« Pour moi rendre hommage aux démarches de Snowden, d’Assange et de Manning a signifié ne pas me placer dans une position de porte-parole de leur conceptions. Formuler à nouveau les représentations qu’ils proposent eux-mêmes de leur histoire ou de leurs motivations m’aurait conduit à me soumettre à leurs discours, c’est-à-dire à renoncer à ce qui donne sens à la réflexion théorique : sa capacité à transformer nos manières de voir et de penser (…) C’est la raison pour laquelle ce que j’écris ne sera pas nécessairement compatible avec ce qu’ils pourraient écrire de leur côté ou avec ce qu’ils ont déjà écrit » (p. 18-19).

Le problème, c’est que cette volonté de rompre avec le discours des acteurs conduit à des positions théoriques décorrélées des pratiques politiques dont elles tirent leur fondement.

Par exemple, décrire la fuite de Edward Snowden à Hong Kong et son exil russe comme les manifestations d’un choix délibéré, d’une volonté de rompre l’appartenance à son État de naissance, ne correspond pas à la réalité : Snowden se définit lui-même comme patriote ! Il explique vouloir « rentrer à la maison », mais seulement s’il peut le faire en tant que citoyen libre. Lorsqu’il fuit, il ne fait donc que choisir sa sanction et se ménager un peu de liberté. Plutôt que de courir le risque d’un procès politique et d’une punition exemplaire aux États-Unis, il opte pour la peine de l’exil. Il doit vivre loin de sa famille, loin des siens, loin de son pays, mais demeure dans un situation plus enviable que celle que lui réserverait un tribunal américain, notamment parce qu’il conserve sa pleine liberté de parole. Il y a très peu de positivité là-dedans et pas grand chose de nouveau : il s’agit avant tout d’un comportement stratégique somme toute prévisible d’un militant qui entend se protéger d’une répression brutale, en se plaçant sous la protection d’une juridiction plus clémente à son égard.

Dépasser la désobéissance civile ou la redéfinir ?

Même si cela permet à l’auteur de libérer son imagination et de proposer des analyses originales, le fait de rompre avec le sens pratique des acteurs conduit donc à des exagérations. C’est également le cas lorsqu’il oppose l’action de Snowden ou de Chelsea Manning à la tradition de la désobéissance civile.

Lagasnerie s’appuie sur les définitions les plus orthodoxes de la désobéissance civile pour expliquer que cette dernière suppose toujours l’acceptation de l’ordre juridique que l’on défie, et donc de la sanction venant réprimer l’illégalisme. Or, dans ses discours, Snowden s’inscrit complètement dans le cadre juridique américain, notamment au travers de fréquentes références au Bill of Rights. S’il a désobéi aux règles du secret bureaucratique, c’est non pas pour nier toute légitimité au droit de son pays mais pour permettre un débat public sur la conformité des programmes de surveillance de la NSA à la constitution et aux valeurs politiques qu’elle incarne. Le rôle qu’il se donne est donc bien celui d’un citoyen qui transgresse la norme pour faire la lumière faite sur les modes d’exercice du pouvoir et ainsi intensifier une contestation de l’État qui opère de l’intérieur, au sein de l’espace politique et juridique américain (et ce même si ses révélations et leur impact sont indéniablement d’échelle mondiale). La fuite, on l’a vu, doit donc s’interpréter comme une tentative d’échapper à la répression.

Par ailleurs, en rejetant la catégorie de la désobéissance civile, Lagasnerie risque au niveau théorique de l’enfermer dans ses acceptions les plus conservatrices. Si la dimension sacrificielle du militant désobéissant est en effet citée par de nombreux auteurs comme facteur de légitimité politique (et en particulier par John Rawls), d’autres ont depuis longtemps proposé de s’affranchir de cette exigence pour élargir l’espace démocratique. Hannah Arendt, notamment, voit dans la volonté de se sacrifier soi-même une « forme de fanatisme » qui est « en général le fait d’excentriques » et qui, « de toute façon, a pour effet de rendre impossible une discussion rationnelle des données du problème » (Du mensonge à la violence, 1972, p. 69). Quant à l’historien américain Howard Zinn, il explique pour sa part que « s’il est légitime de désobéir aux lois injustes, il est également légitime de ne pas accepter la punition injuste que l’on encourt en les enfreignant » (Désobéissance civile et démocratie, 2010, p. 199).

La fuite de celui qui refuse de se soumettre à une sanction disproportionnée et verse pour cette raison dans la clandestinité peut donc très bien être réintégrée au concept de la désobéissance civile.

Repenser la citoyenneté en faisant place aux pratiques alégales

Au fond, le problème n’est pas que le court essai de théorie politique de Lagasnerie délaisserait l’histoire ou la sociologie, même si le fait d’écarter les discours des acteurs et occulter la sociogenèse de leur agir politique est surprenant pour un auteur qui revendique l’héritage de Michel Foucault. C’est surtout qu’à force de vouloir scier la branche sur laquelle est assise la pensée politique occidentale, à faire comme si l’évitement du droit lié à l’anonymat et à la fuite justifiait de rompre avec les catégories politiques traditionnelles, il exagère la radicalité de ces pratiques et risque d’encourager indirectement la répression et la disqualification que leur oppose le pouvoir.

Or, l’art de la révolte que déploient Assange, Manning ou Snowden n’impose pas de sortir du cadre de la citoyenneté, ni même, d’ailleurs, du libéralisme politique, dont l’auteur souligne d’ailleurs la centralité (dans le livre et plus récemment dans une tribune au sujet de la loi sur le renseignement). Ils invitent plutôt à le complexifier.

Il s’agirait en effet de comprendre comment ces trois personnages, et plus généralement le mouvement de défense des droits sur Internet, participent d’une forme particulière de citoyenneté opérant en marge du droit et que l’anthropologue James Holston, spécialiste des favelas au Brésil, a proposé d’appeler la « citoyenneté insurrectionnelle ». En cherchant à utiliser Internet pour radicaliser la contestation du pouvoir, en violant le secret d’État, en remettant en cause toutes ces règles juridiques qui gouvernent l’espace public, ce mouvement déploie des pratiques politiques illégales ou alégales qui rentrent nécessairement en tension avec les conceptions légalistes de la citoyenneté. Dans ces pratiques se joue en fait la possibilité que les libertés publiques – en particulier la liberté d’expression et la vie privée – débordent de leurs bornes juridiques dans le but d’acter un nouveau rapport de force entre l’État et la société civile qui soit plus favorable à cette dernière (un processus que le philosophe Claude Lefort appelait une « opposition de droit »). La citoyenneté insurrectionnelle de l’espace public numérique travaille ainsi en marge mais néanmoins à l’intérieur du système politique, parfois même au contact direct des institutions, mobilisant le régime de justification lié à cet objet juridique étrange que sont les droits de l’Homme afin d’étendre le domaine de la citoyenneté.

Et si ces insurgés de l’espace public doivent parfois se cacher et fuir, c’est parce que l’État abuse de la force du droit en décidant de les bannir, refusant toute négociation et décrétant l’état d’exception pour éradiquer leurs pratiques subversives qui le frappent au cœur. La fuite est une nécessité, du fait justement de la protection toute relative qu’apporte l’anonymat – les exemples de Manning et de Snowden rappellent en effet qu’un État déterminé a toujours les moyens de nous identifier et de nous réassigner à notre position de sujet juridiquement responsable. La fuite est une liberté de dernier recours qui intervient non pas pour « échapper à la citoyenneté » comme le suggère l’auteur, mais pour échapper à la répression.

Ainsi, plutôt que de s’appuyer sur l’évitement ou la sortie du droit pour rompre avec les catégories traditionnelles du politique, il faut au contraire travailler à les y réintégrer pour consacrer leur rôle dans la construction de la citoyenneté et la résistance à l’oppression. C’est là un serpent de mer de la pensée politique, mais la tâche devient plus urgente à mesure que grandit le fossé entre la politique institutionnelle et la citoyenneté vécue et que les pratiques illibérales des régimes représentatifs se banalisent. De la même manière qu’au XXè siècle, l’état d’exception a été absorbé par les constitutions libérales pour légaliser et encadrer tant bien que mal le non-droit pratiqué par l’État, il s’agirait de reconnaître aux citoyens la possibilité d’agir eux aussi en dehors du droit pour, comme disait Blanqui à propos de l’insurrection, se livrer à un « acte foudroyant de souveraineté ». Ce droit « à s’émanciper du droit » serait une manière de garantir une forme de symétrie entre la souveraineté de l’État et la souveraineté populaire qui, en régime démocratique, fonde sa légitimité.

Dans cette perspective, sans renoncer aux concepts structurants de la pensée politique moderne ni verser dans l’utopie libertaire et post-nationale (si désirable soit-elle), les analyses de Lagasnerie peuvent servir à penser les outils théoriques et pratiques par lesquels le régime représentatif pourra se démocratiser de l’intérieur.